Lorsque le nom de « Ravin bleu » est mentionné, il me rappelle immédiatement mon arrière-grand-père maternel, Essaïd Belaggoun. Bien que je ne l’aie jamais connu, son souvenir est vivant dans mon esprit. Il a vécu, une partie de sa vie, dans la région avoisinante au ravin, où il travaillait dans une usine de production de chaux et ciments.
Né à la fin du 19e siècle, il était un homme tendre dont l’héritage continue d’influencer ma vie aujourd’hui. Pour moi, le Ravin bleu n’est pas seulement un lieu, mais un symbole de la mémoire familiale et de l’amour que je ressens pour ceux qui ont façonné mon histoire.
Le Ravin bleu
Appellation poétique d’un ravin situé au sud de la ville de Batna en Algérie, près de la route qui mène vers la commune de Mérouana. Les autochtones l’appelaient Foum Islamen, un site remarquable, imprégné d’histoire et de beauté . Sa notoriété repose sur son décor naturel et sa carrière de pierres lithographiques, exploitée dès 1886. Cette carrière produisait des pierres d’une qualité si élevée qu’elles pouvaient rivaliser avec celles d’Allemagne, ce qui témoigne de l’intérêt historique de ce site.
La pierre lithographique, cruciale pour l’impression, était une ressource précieuse. Cette roche calcaire a connu un large succès au XIXe siècle, utilisée pour les illustrations, les affiches, les cartes et bien plus encore. Ce type d’impression permettait une qualité d’image fine et était économique pour des tirages en série, ce qui a largement favorisé son adoption dans l’industrie de l’imprimerie.
Le lieu possède un panorama saisissant, depuis lequel on aperçoit le col de Chélala à l’ouest et les montagnes vers la Tunisie à l’horizon. Cet environnement accidenté, parsemé de cèdres offre une vue plongeante sur Batna ; sa situation près des montagnes et des forêts environnantes, non loin du Parc national de Belezma, en fait un endroit à la fois spectaculaire et isolé, idéal pour les randonneurs et les passionnés de la nature.
Le nom du « Ravin bleu » proviendrait de la couleur particulière que prend le ravin, à une certaine période de l’année, lorsqu’on l’observe de loin, un phénomène unique qui pourrait être attribué à des effets atmosphériques et à la composition géologique des roches. Ce ravin, accessible après une plaine de plusieurs kilomètres et une gorge, est non seulement une curiosité naturelle mais aussi un lieu ancré dans la mémoire collective de la région, fascinant par ses teintes bleutées et son paysage emblématique.
L’usine de chaux et ciments
Mon aïeul Essaïd travaillait comme mécanicien dans une usine sise dans ce même lieu : La Société des chaux et ciments du Ravin bleu. Une société constituée en 1905, motivée par l’abondance et la qualité des ressources du site. Par son application et son dévouement pour son travail, Essaïd reçoit, en 1934, une médaille d’honneur en argent décernée par le ministère du Commerce et de l’Industrie du pays colonial.
Aujourd’hui, ses structures réduites à de simples vestiges rongés par le temps, l’usine de chaux et ciment repose, silencieuse et abandonnée.
Dans cet état de délabrement avancé, le lieu évoque un mélange de tristesse et de mystère qui attire quelques visiteurs curieux. Ces derniers, souvent émus, prennent des photos de ce décor figé dans l’oubli, comme pour immortaliser ce qu’il reste d’un passé chargé d’histoire. Derrière chaque mur effrité et chaque outil rouillé semble se cacher un fragment de mémoire.
Le gramophone
A travers les récits de ma mère sur son grand-père Essaïd se dessine l’image d’un homme courtois, au style de vie élégant et au goût raffiné. Il possédait un magnifique gramophone auprès duquel il aimait passer de longs moments, absorbé par les notes qui s’en échappaient. La musique, pour lui, était une compagne de méditation, un accès privilégié à des instants de paix intérieure. Passionné par la culture et la poésie, il trouvait dans cet univers artistique une source d’inspiration qui enrichissait son esprit et nourrissait son amour pour les belles choses
La décoration de sa petite maison (Décorations et ustensiles en cuivre sculpté, meubles en bois noble) témoigne de son souci du détail et de son attachement aux objets de qualité.
Hélas, un événement tragique bouleversa la vie d’Essaïd et de son épouse Taous, mon arrière-grand-mère : la perte de leur fille unique, décédée en 1936 à l’âge de 25 ans, laissant derrière elle une petite fille de deux ans, ma mère. Leur gendre, mon grand-père, refaisant sa vie, ils prirent à cœur d’élever cette enfant orpheline avec dévouement, tentant de combler l’absence par cet amour sans réserve.
Dans l’espoir d’oublier leur chagrin, ils décidèrent de se rendre en pèlerinage aux lieux saints de la Mecque, emmenant leur petite-fille avec eux pour un long voyage en bateau. Un an après leur retour, Essaïd s’éteignit, laissant derrière lui le souvenir d’un homme aimant et protecteur, gravé à jamais dans le cœur de ma mère et de tous ceux qui lui survécurent.
Sources :
Certaines informations, dans cet article, sont issues de ma navigation sur le site Gallica/BNF.
Je remercie les propriétaires des magnifiques images qui ont enrichi mon récit. Leurs noms sont cités en dessous.